PIERRE JUDON
Pierre Judon est régisseur technique au Centre Belge de la Bande Dessinée à Bruxelles. Il est également éditeur au sein du label franco-belge Aposiopèse, spécialisé dans les arts sonores et dans les musiques expérimentales.
Il a été un de mes collègues durant ma période de stage en tant que scénographe au Centre belge de la Bande Dessinée, qui s’est déroulée de mai à août 2024.
Je me réveille avec la musique, je m’endors avec depuis que j’ai quinze ans ! Donc le rapport au son est fou ! C’est un rapport lié au jeu, à la perception mais aussi à la musique, aussi et surtout ! Le son peut être du bruit. Et que le bruit peut me paraître agréable, alors que pour la plupart des gens, c’est désagréable. En-tout-cas, j’ai un rapport un peu obsessionnel au son. C’est-à-dire que j’y reviens tout le temps.
Est-ce que le son est pour toi un outil de mémorisation ou d’évocation de souvenirs ?
Je ne sais pas comment ça se passe dans le cerveau, mais surement ! Puisque le son, tu peux lui appliquer des formes. Même si c’est complètement arbitraire. On peut parler de son chaud, de son froid, de son rond… Donc, oui, je pense que ça peut t’aider à mémoriser, ranger des choses…
Quelles difficultés pourrait-on rencontrer vis-à-vis du son au sein d’une exposition culturelle ?
Le premier problème avec le son est le volume sonore. Ce ne sont pas les effets ! Ce n’est pas comment tu peux modifier le son. En fait, la première modification du son, c’est le volume. Même quand les musiciens jouent ensemble, le moment où ils font apparaître un son de saxophone et le font disparaître. Il faut bien penser à la suite de ce que vont faire les musiciens.
Le problème du son, c’est qu’on nous éduque peu à ça ; ni à l’école, ni en primaire, ni au collège, ni au lycée. Tu peux être spécialisé là-dedans quand tu fais une école d’art ; acheter un petit zoom, te sensibiliser à ça mais sinon on est sensibilisé à l’image, à l’optique. Ça a toujours été le sens privilégié, de toute façon. Le son vient en second. Et le problème, en tout cas, moi, en tant qu’amateur, quand je travaille au musée ou quand je vais dans des galeries d’art contemporain, le son est utilisé comme décorum. Ça arrive également l’inverse, où on va à un concert et derrière le concert, il y a des images en Vjing et ça dessert le propos musical.
On faisait la différence entre l’amateur qui va dans une galerie pour voir un propos et du touriste qui a besoin de vulgarisation. On voit bien les corps dans l’espace, dans un musée, comme le centre de la Bande Dessinée, on voit des touristes. Le touriste se fait balader par l’architecture, se fait balader par le dispositif touristique qui l’accueille. Donc, en fait, je pense qu’il est bon de consulter l’idée de la balade sonore pour ces gens-là aussi, puisque c’est adaptée dans les musées. Ça peut ne pas être péjoratif, moi aussi, je me balade. Il y a un truc dans le son très intuitif. C’est très intuitif de suivre un son. Le champ des possibles est beaucoup plus grand !
Au sein du musée, comment décrirais-tu le travail sonore ?
Il est maltraité. Dans les deux sens du terme. Mais en même temps, c’est de la maltraitance qui est corrélée avec le propos, c’est-à-dire que c’est des expositions plus historiques. Ce ne sont pas des expositions de niche au musée de la BD. Donc, ce ne sont pas des expositions qui vont s’adresser à des amateurs. Tu peux difficilement amener quelque chose de révolutionnaire en traitant des bandes dessinées historiques. Et puis même au-delà de ça, le bâtiment aussi. On fonctionne avec des enceintes. On peut les cacher dans les meubles. C’est ce que certains scénographes font. Mais en fait, il y a moyen de faire des choses avec des trucs cheap ; avec des petits haut-parleurs à deux euros, que tu branches. Alors, tu n’as que des aigus et des médiums mais tu peux faire des super trucs si tu les multiplies. Et tu as un florilège, un truc floral avec des espèces de petits points. C’est-à-dire, qu’il n’y a pas besoin d’avoir une oreille et des budgets. Tu peux vraiment faire des trucs super avec peu d’argent.
Dans le musée de la BD, en tant que scénographe, tu es obligé de faire des compromis ; par rapport aux zones où il n’y a pas de son, par rapport au public qui va être saturé, par rapport aux enfants qui ne sont pas habitués à être attentifs au son. Tu peux dire aux gens « chut, écoutez ! » mais des enfants, c’est tout de suite beaucoup plus compliqué !
As-tu des références à me conseiller ?
Il y a Marc Namblard qui évoquait aussi le côté naturaliste des prises de son en field recording, donc des prises de son de terrain. Il commençait à enregistrer une variété énorme d’oiseaux dans sa région. Il prenait l’exemple, pour contrecarrer le côté naturaliste, des piverts qui tapent leur bec sur différents types d’écorces d’arbres. Et un jour, il entend un son industriel en les enregistrant. Ça fait référence à la musique industrielle, qui est arrivée dans les années 80. Le pivert ne fait pas la différence entre un arbre et un poteau électrique métallique. L’émission du signal, elle vient du pivert. Donc un animal peut avoir deux sons différents ; un son agréable car sur l’écorce, c’est un son chaud. Et quand il tape sur un poteau électrique, on entre dans la musique industrielle.